Chiens de traîneau

Traîneau à chiens

Les chiens courent sans bruit. Depuis quatre jours ils courent, tirant derrière eux le lourd traîneau de bois pour une longue boucle à travers l’immensité blanche. L’air froid de Mauricie frappe mon visage à la vitesse de notre déplacement mais il n’y a pas de vent. Le crissement continu des patins sur la neige dure de la piste remplit seul le silence, que ponctuent aussi de temps à autre les ordres des mushers.

Flick
Flick
Mes deux chiens de tête ont l’habitude de travailler ensemble. Leur apparence mal assortie cache une parfaite complémentarité dans l’effort. La femelle groënland, Louvain, court en tendant sa ligne au maximum, sans répit pendant des heures et des heures, avec une endurance inimaginable pour un être humain. C’est elle la tête, et pas seulement par sa position dans l’attelage. Elle est attentive aux ordres et met toute sa fierté à y obéir et à les faire exécuter par les autres chiens.

Flick, le grand mâle husky qui court à sa droite, tire avec force quand il le veut bien, mais sa ligne de trait est souvent moins tendue. C’est un malin. Ce bon chien placide et affectueux sait se ménager quand il le peut mais donne toute sa force dans les montées, et quelques passages de neige molle ne lui font pas peur.

Louvain tourne parfois la tête vers son voisin et montre les crocs quand celui-ci, plus lourd et plus massif, la bouscule dans sa course, mais sans jamais mordre et sans cesser de tirer. Au repos ce sont les meilleurs amis du monde.

Radieuse Aurore (Jack London)
« Parfois un chien gémissait ou hurlait en montrant les dents, mais la meute restait calme ; on entendait seulement le bruit des patins d’acier et le craquement du traineau sur la surface durcie [...] Aucune brise. Au coeur des sapins qui bordaient les deux rives du fleuve, la sève s’était arrêtée. Les arbres, aux branches alourdies par la neige, semblaient pétrifiés. Le plus léger souffle aurait fait tomber la neige, et cependant la neige restait immobile. Le traîneau était le seul point vivant et mouvant de cette immensité solennelle, et les battements réguliers des patins aggravaient encore le silence. Hommes et chiens couraient. »
Jack London — Radieuse aurore.

Derrière les deux leaders, Quest et Achille font honnêtement leur métier de chien de traîneau. La truffe au ras de la queue des collègues de devant, les deux alaskan ne voient rien d’autre, ils ne disent rien, ils courent. Ils peut leur arriver de tourner la tête vers l’extérieur et de ralentir un court instant quand une odeur particulièrement attractive frappe leur odorat, mais même une belle tache d’urine au bord de la trace ou des empreintes de lièvre ne les feront pas s’arrêter. Le devoir avant tout.

Chiens de traîneau
Les deux colosses de queue, Yukon le malamute et Philbert le grand husky, ont la tâche la plus ingrate. Ils tirent encore et toujours, forçats à la chaîne mais amoureux de celle-ci. Le matin, ils sont les premiers à geindre et à s’agiter pour que je leur enfile leur harnais. Debout sur le frein du traîneau, c’est à grand peine que je les retiens de s’élancer à peine attelés, bien que j’appuie des deux pieds et de tout mon poids sur cette lame d’acier dont les crocs s’enfoncent dans la neige. Une fois le frein relevé… accrochez-vous, on décolle !

Au début de la journée, Yukon et Philbert jetaient fréquemment des coups d’oeil inquiets en arrière dans les descentes pour vérifier que le traîneau ne les rattrapait pas, au risque de leur blesser les pattes. Maintenant ils ont pris confiance : apparemment l’amateur qui est derrière eux a compris comment se servir du frein à bon escient.

Ce soir au refuge, ils dormiront dehors sur un peu de paille jetée sur la neige, après leur unique repas quotidien : une soupe chaude et un bloc de viande congelée. Chez ces fils du loup, la plus petite particule absorbée se transforme en énergie pure.

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