À la ligne (Joseph Ponthus)
- Publié le Mardi 21 mai 2019
- par Serval
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Joseph Ponthus, qui travaillait comme éducateur spécialisé en région parisienne, a démissionné pour rejoindre la femme qu’il aime à Lorient. Mais voilà , une fois en Bretagne, pas moyen de trouver un poste dans son domaine. Il a alors recours aux agences d’intérim qui lui proposent des contrats « d’opérateur de production » dans l’industrie alimentaire.
En clair, il travaille désormais à la chaîne — pardon, à la ligne — là où on a besoin de sa force de travail pendant quelques jours ou quelques semaines. Tri de crevettes, usine de poissons panés, égouttage de tofu, nettoyage d’abattoirs, déplacement de centaines de carcasses de bovins, composent désormais son quotidien.
Ponthus n’est pas un ouvrier classique. Il a une formation littéraire et un besoin d’écrire qui l’amène à raconter ce quotidien par touches successives au fil des mois qui s’écoulent. Usine et écriture. La ligne dont il est question, c’est à la fois la ligne de production et chacune des lignes d’écriture qui se succèdent en retours rapides dans ce récit fait d’une prose qui ressemble à des vers.
Au fil du temps et des courts chapitres, l’auteur dévoile peu à peu des pans de son monde. Ses études littéraires, l’amour pour sa femme — pudiquement effleuré et toujours présent — ses collègues, les chefs, les monceaux d’animaux morts, son chien Pok-Pok, sa maman.
Ni pathos ni misérabilisme dans ces « feuillets d’usine » ; pas de plainte malgré les douleurs et l’épuisement physique ; une résilience de tous les instants, de tous ces jours sans fin qui se suivent. Pour tenir, il a la littérature, romans et poèmes, les chansons de Trenet, ses souvenirs et la routine.
Voilà un grand livre. Un « récit prolétarien » comme on n’en avait pas lu depuis plusieurs dizaines d’années, et qui se passe ici et maintenant. En France, au XXIe siècle.
« C’est ignorer jusqu’à l’usine qu’on pouvait Réellement Pleurer De fatigue Ça m’est arrivé quelques fois Hélas non quelquefois Rentrer du turbin Se poser cinq minutes dans le canapé Et Comme un bon gros point noir que tu n’avais pas vu et qui explose à peine tu le touches Je repense à ma journée Sens mes muscles se détendre Et Explose en larmes contenues Tâchant d’être fier et digne Et ça passera Comme tout passe La fatigue les douleurs et les pleurs Aujourd’hui je n’ai pas pleuré » Joseph Ponthus — À la ligne (La Table Ronde, 2019) |