Carnets de route

Traversée Nord-Sud, étape n°8 : Beaurainville -> Hesdin (Sa 04/09/2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
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Carte et carnets de notes

Assis seul à une extrémité d’un wagon presque vide dans le train qui me ramène à Beaurainville, j’observe discrètement mes voisins. À ma gauche, de l’autre côté du couloir, une jolie blonde aux cheveux bouclés écoute son iPod, les yeux fermés. Devant elle, un couple somnole ; sa jambe plâtrée à elle repose sur ses cuisses à lui. Un peu plus loin, trois jeunes anglais à l’accent très posh parlent avec animation de vins, de bières et de fromages. Quelques autres personnes dorment, lisent ou sont penchées sur leur ordinateur portable.

Le train avance lentement et s’arrête à chaque gare, mais je suis presque arrivé. Dans une demi-heure à peine, je me retrouverai à l’endroit même où, il y a cinq semaines, ma longue promenade en direction du Cap Cerbère s’est interrompue.

En attendant, j’écris dans mon petit carnet noir quelques lignes irrégulières et tremblées sous l’effet des cahots du train. C’est, de mes deux carnets, celui que j’ai toujours à portée de main, le plus souvent dans la poche pectorale de ma chemise. J’y griffonne mes idées comme elles viennent, au fil de la marche. C’est un de ces fins carnets, vendus par trois, de la marque Moleskine, que ses créateurs italiens ont brillamment doté d’une aura fictive en appelant à la rescousse Hemingway et Picasso qui ne sont plus là pour démentir.

Malgré son nom, ce carnet n’a rien à voir avec les carnets fétiches de Bruce Chatwin « connus en France sous le nom de carnets moleskine, car ils sont recouverts de cette toile de coton enduite imitant le cuir » dont il a fait la description dans « Le Chant des pistes », mais ça ne m’empêche pas de le trouver pratique.

« Quelques mois avant de partir pour l’Australie, la papetière me dit que le « vrai moleskine » était de plus en plus difficile à trouver. Il n’y avait qu’un seul fournisseur, une petite entreprise familiale de Tours. Ils mettaient toujours très longtemps à répondre au courrier.
« J’aimerais en commander une centaine, dis-je à la commerçante. Cela me durera toute la vie. »
Elle promit de téléphoner à Tours sans tarder […]
Le patron de la fabrique était mort. Ses héritiers avaient vendu l’affaire. Elle retira ses lunettes et dit pratiquement comme s’il se fût agi d’un deuil : « Le vrai moleskine n’est plus. »
Bruce Chatwin — Le Chant des Pistes (1987)

L’aspect de mon autre carnet a varié au cours du temps. Je veux simplement qu’il soit un peu plus grand et assez épais, et je préfère le papier ligné. Celui que j’utilise actuellement — de la marque Paperblanks — a une forme allongée, un soufflet et une couverture imitant le cuir d’un livre ancien. Il peut tenir dans une poche latérale de mon pantalon mais je le range néanmoins le plus souvent à l’abri de mon sac à dos. C’est dans ce second carnet que j’écris chaque soir ; parfois quelques lignes seulement, et d’autres jours de nombreuses pages. C’est mon journal de bord, mon carnet de route. Il se nourrit des pensées notées à la volée dans le carnet noir. Il abrite aussi des dessins, des collages et d’autres traces de mes voyages.

Les articles de ce blog consacrés à ma traversée de la France à pied, écrits avec plusieurs semaines de recul, sont un mélange du contenu de mes deux carnets, modifié et enrichi par le travail de la mémoire.

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