L’axe du loup
- Publié le Mercredi 16 février 2011
- par Serval
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Peu importe à Sylvain Tesson de savoir si l’épopée de Slavomir Rawicz, le survivant échappé du Goulag est une mystification ou non. Ce qui l’intéresse, c’est que de nombreux hommes aient réussi à fuir l’univers carcéral soviétique sibérien en empruntant cet itinéraire nord-sud à travers la taïga et la steppe, le désert et l’Himalaya.
Soixante ans après Rawicz, il décide de placer ses pas dans les siens et, depuis la région de Iakoutsk en Sibérie, de rejoindre à son tour l’Inde. Il sait bien que l’on ne peut pas comparer la fuite à pied d’hommes poursuivis par le NKVD en 1941 et sa lubie aventurière préparée, mais il veut, dit-il, « arpenter les chemins d’évasion pour rendre hommage à tous les arpenteurs de steppe […] qui savent que s’arrêter c’est mourir ». Il voyagera « loyalement », sans utiliser de moyen mécanique, en ne s’autorisant que la marche, le cheval et le vélo.
« Les hordes nomades de la haute Asie se sont en effet déplacées d’est en ouest ou dans le sens inverse, au long des âges, sans quitter les bandes bioclimatiques latitudinales auxquelles elles étaient adaptées [...] le balancier de l’Histoire a toujours battu du levant vers le couchant ou du couchant vers le levant. Avec une exception : quand une horde affamée voulait razzier une oasis, alors le raid s’effectuait du nord au sud (car les nomades prédateurs peuplaient les latitudes septentrionales alors que les oasis étaient disséminées dans les latitudes plus méridionales) et les loups fondaient sur les jardiniers sédentaires et dessinaient à le surface de l’Eurasie des itinéraires non conformes aux tracés habituels. Il n’y a que le loup, créature en marge du monde, pour ne pas marcher dans la direction ordinaire. Les évadés, qui sont un genre de bête traquée, ont eux aussi emprunté cet axe conduisant du septentrion de l’Eurasie jusqu’aux versants de l’Himalaya, « l’axe du loup ». Sylvain Tesson — L’axe du loup (Robert Laffont, 2004) |
« L’axe du loup » est le récit de ce voyage de huit mois et de plus de six mille kilomètres pendant lequel Sylvain Tesson éprouve ce qu’il est venu chercher : la splendeur des paysages, l’hospitalité des peuples, et souvent la solitude extrême, la faim, le froid ou la sécheresse.
Ce récit n’échappe pas aux écueils de beaucoup de livres de voyage : il est centré sur son auteur dont les facultés d’auto-promotion sont lassantes, qu’il s’agisse des petites phrases sur les interviews qu’il donne ou des photos du livre dont la plupart le mettent en scène. On aimerait qu’il sache plus s’effacer derrière le monde qu’il parcourt et les humains qu’il rencontre… mais n’est pas Nicolas Bouvier ou Jacques Lacarrière qui veut. Sylvain Tesson est un aventurier qui écrit, et non un écrivain parti à l’aventure.
Ce livre donc n’est pas un grand livre, mais c’est un récit intéressant, le témoignage impressionnant de ce qu’un homme à l’esprit d’aventure est capable de réaliser. Il est paru en 2004, l’année même ou Slavomir Rawicz s’évadait pour de bon de ce monde.