Par vent arrière
- Publié le Jeudi 3 février 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°17 : Gisors -> La Roche-Guyon (jeudi 14 octobre 2010)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
La route est longue et je suis parti tard. Je marche en ligne droite sur de petites routes et des chemins d’exploitation qui s’étirent entre les champs. Tout droit vers le sud, avec dans le dos le vent du nord qui me pousse et m’aide à progresser. Un vent fort avec des rafales : sous le ciel pourtant bleu, la bise est venue.
Malgré sa froidure, je ne me plains pas. Avoir le vent avec soi est une chance qu’il faut savoir apprécier à sa juste valeur. Le vent contraire est le pire ennemi, un ennemi invisible et constant qui ne se contente pas de ralentir le marcheur qui doit lutter contre lui : il sape son élan, il le saoûle et le vide de son énergie.
Mais aujourd’hui, la bise est mon alliée. Sa main complice me pousse dans le dos, elle joue avec moi, me désarçonne et me fait presque décoller de terre lorsque ses rafales s’engouffrent sous mon sac. « Ch’vint il est heut » dit-on en langue picarde pour désigner la bise du nord qui m’accompagne obligeamment un peu au-delà des limites de sa zone habituelle d’influence, aux confins de la Picardie et du Vexin Normand. « Le vent, il est haut ».
« Mais « le vent » n’existe pas. Tout comme « l’eau » des rivières et des fleuves, c’est un mot derrière lequel se cache une multitude de souffles différents. Leurs filets sont des caresses, leurs crues des ouragans. Ils prennent leur source, font leur lit, coulent et se faufilent à travers les vallées, selon des débits et des rythmes propres, avant de se jeter dans l’inconnu où ils s’évaporent sans laisser de trace. Magie d’une existence éphémère sans cesse renouvelée. » Honorin Victoire — Petite encyclopédie des vents de France (JC Lattès, 2001) |
J’avance donc vite, par vent arrière, parmi les champs qui longent la vallée de l’Epte, jusqu’à ce que tout à coup, sans prévenir, le vent mollisse et m’abandonne quand je franchis l’Aubette, non loin de Bray-et-Lu. En quelques minutes c’est fini, plus un souffle. Je marche à nouveau seul en cette fin d’après-midi.
Deux kilomètres encore, un bois, des chemins creux. Et puis, la récompense d’une lumière dorée qui traverse les branches quand j’atteins les hauteurs de La Roche-Guyon. Un chemin de montagne en ce pays de plaine serpente sur les flancs des coteaux calcaires qui protègent le fleuve. Je descends. Aux rayons d’un soleil proche de l’horizon, les falaises de craie de la vallée de Seine étalent leur blancheur sous un ciel bleu foncé.