Gris, gris, gris

Traversée Nord-Sud, étape n°21 : Rambouillet -> Maintenon (vendredi 28/01/2011)
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Ciel gris

Le ciel est gris et mon humeur aussi. Le chemin depuis Rambouillet n’est probablement pas moins agréable qu’un autre mais l’étape d’aujourd’hui paraît interminable. C’est une journée grise et froide avec des températures bien en-dessous de zéro, une atmosphère humide, et un ciel gris, gris, gris. À aucun moment ce matin je n’ai eu occasion de deviner où se trouvait le soleil.

Il est presque deux heures. Le petit bois que je viens de traverser se termine en triangle, au croisement de la grand-route et de la voie ferrée. L’endroit n’est pas idéal mais j’ai trop faim pour chercher mieux. Je dépose mon sac contre un arbrisseau et m’assieds sur le tapis de feuilles mortes. La conformation particulière des lieux me fait me rendre compte qu’à chaque fois que je m’adosse ainsi à mon sac pour déjeuner, je m’installe de manière à ne pas voir le chemin que je suis en train de suivre. Comme si cette demi-heure de pause en milieu de journée ne pouvait remplir son office de décrassage des muscles et du cerveau qu’à condition de rompre tout lien avec le fil de ma route.

Un train passe en faisant trembler le sol. Pendant un instant, je n’ai plus entendu le vrombissement continu des automobiles sur la nationale. Pendant un instant seulement. Aujourd’hui le serpent d’asphalte ne se fait jamais oublier, gros animal sournois qui longe le sous-bois en grondant. Ses voitures feulent, ses camions rugissent, ses motos hurlent. C’est le bruit de l’humanité en mouvement, qui fonce vers quoi déjà ?

« Kun-kun-kun-kun ». Bien visibles par une trouée entre les arbres, sept oies sauvages en formation régulière passent lentement, droit au-dessus de ma tête. Elles semblent clamer leur joie de n’être pas le marcheur lourd et malhabile qui se traîne en dessous d’elles.

Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède (Selma Lagerlöf)
« Mais, brusquement, les oies sauvages devinrent étonnamment calmes et s’éloignèrent de lui, comme si elle avaient voulu dire : « Hélas, il est un humain maintenant ! Il ne nous comprend pas, nous ne le comprenons pas. » [...]
Quand il fut sur la dune, il se retourna et admira les nombreux vols d’oiseaux qui filaient au-dessus de la mer. Tous lançaient leur appel, un seul troupeau d’oies sauvages, pourtant, vola en silence tant qu’il put le suivre des yeux.
Mais leur vol était régulier, le V bien dessiné, la vitesse correcte, et les coups d’ailes énergiques et puissants. Et le garçon ressentit une telle nostalgie en regardant ainsi celles qui s’en allaient qu’il souhaita presque être à nouveau Poucet, celui qui avait pu survoler la terre et la mer en compagnie d’un vol d’oies sauvages. »
Selma Lagerlöf — Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède.
(vf. Actes Sud, 1990 — Publ. origin. 1931)
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