De Penmarc’h à Loctudy

Tour de Bretagne [Étape n°50]

Les trois phares de Penmarc'h
Les trois phares de Penmarc’h

J’avais choisi par économie une chambre d’hôtel ne donnant pas sur la mer (après tout, la mer, je la vois toute la journée…) ce que je n’ai pas regretté ce matin lorsque les premiers rayons du soleil m’ont réveillé. Eh oui, quand la mer est à l’ouest et qu’on lui tourne le dos, c’est vers le soleil levant qu’on regarde ! Un soleil levant aussi magnifique, cela voulait dire un ciel dégagé et en effet, pendant toute la journée, le temps a été splendide.

En passant la Pointe de Penmarc’h, j’ai franchi la dernière des quatre pointes qui marquent les extrémités du Finistère, dont la côte découpée en trident est si caractéristique de la Bretagne, tout au bout de l’Europe. Finistère, le lieu où la terre finit… Avant elle, la Pointe Saint-Mathieu, la Pointe de Pen-Hir au bout de la presqu’île de Crozon et la Pointe du Raz avaient chacune à leur tour marqué une sorte de bout du monde. Rien de tel ici toutefois car la pointe de Penmarc’h (prononcer  » Pain-Mare »), assez largement urbanisée, ne réalise en fait qu’une inclinaison progressive de la côte, dont l’orientation passe sur quelques kilomètres d’un axe nord-sud à ouest-est.

Et pourtant… à partir de cet endroit, le marcheur sur le GR 34 change de cap. À compter de ce point, il ne cessera plus de marcher vers l’est. La fin du chemin n’est pas encore là, certes, mais un tournant psychologique a été franchi.

À Penmarc’h, il n’y pas un mais trois phares, construits successivement au cours des siècles. La Tour à Feu (à gauche sur la photo) date du quatorzième siècle, le Vieux Phare du début du dix-neuvième et le Phare d’Eckmühl (à droite) a été inauguré en 1897. Le nom bizarre de ce phare, qui n’a rien de breton, fait référence au Maréchal d’Empire Louis-Nicolas Davout, prince d’Eckmühl.

On dit que les gens heureux n’ont pas d’histoire. Il en est parfois de même des étapes de randonnée. Sous un soleil éclatant tout au long de la journée, j’ai marché le long des plages (sur lesquelles les plaisanciers étaient déja nombreux, avec même quelques baigneurs – en avril !), le long des sentiers, pour arriver ce soir à Loctudy. L’hôtelier m’a aimablement prêté pendant une heure « le chargeur de téléphone d’Alexandre », ce qui devrait me permettre d’atteindre Pont-Labbé demain sans tomber en panne de gri-gri.

De Penhors à Penmarc’h


Tour de Bretagne [Étape n°49]


Prise

Ce matin, lorsque j’allais partir, mes hôtes m’ont prévenu qu’il n’y aurait aucun point de ravitaillement jusqu’à Penmarc’h et m’ont offert plusieurs morceaux d’un pain qu’il venaient de sortir du four. C’était d’autant plus gentil et élégant de leur part que je n’avais pas pris de petit-déjeuner chez eux.

Hier soir déjà, ils avaient cherché à m’aider à recharger mon téléphone. La prise de mon chargeur est en effet cassée, ce qui va m’obliger à ménager la batterie tant que je n’aurai pas trouvé un magasin où en racheter une. Plus d’enregistrement de ma trace GPS donc, et si possible pas de communications téléphoniques, sans doute jusqu’à Pont-Labbé.

Ce genre d’incident montre l’importance de ne pas faire dépendre son orientation sur la seule électronique, même si, sur le GR 34 hyperbalisé et avec la mer à main droite, les risques de se perdre sont à peu près nuls. Leçon sans frais, mais leçon quand même.

Je suis donc parti, à nouveau, pour une marche fatigante sur les galets de très longues plages exposées à un vent presque aussi violent qu’hier. Arrivé à Plovan, c’est avec plaisir que j’ai dû m’éloigner du bord de mer pour éviter les étangs de Kergalan et de Trunvel, direction la Chapelle de Saint-Vio. Celle-ci était évidemment fermée mais m’a offert l’abri de ses murs extérieurs pour y déjeuner du pain offert ce matin et d’un morceau de saucisson.

J’ai ensuite rejoint la Pointe de la Torche par de jolies petites routes goudronnées, d’autant plus agréables que vides de voitures. Une dernière longue plage à traverser, mais de sable celle-ci, et j’étais à Penmarc’h. Il paraît qu’à partir de demain le temps va se mettre franchement au beau. On verra.

D’Audierne à Penhors


Tour de Bretagne [Étape n°48]


Grève de galets avant Penhors
Grève de galets avant Penhors
Un vent violent souffle sur la Baie d’Audierne. Par dessus la clôture du jardin où il soigne ses rosiers, un vieil homme m’explique que c’est souvent le cas ici, même quand il fait beau. La faute à l’exposition vers l’ouest et face au grand large.

Ce vent permanent et la nature du terrain – le plus souvent de longues grèves de galets – rendent la marche difficile en bord de mer. Du coup, les détours vers l’intérieur rendus nécessaires par les marais (palud en breton) et les étangs qui rejoignent de loin en loin le rivage en deviennent d’agréables échappatoires où l’on chemine plus facilement, sur des sentiers ou des petites routes désertes.

C’est sans doute aussi à cause du vent incessant qu’il y a si peu de maisons le long de cette côte désolée, réputée pour ses naufrages et, à tort ou à raison, pour ses naufrageurs.

Le bourg de Penhors est situé à quelques centaines de mètres de la côte, sur un plateau, sans doute là encore pour se protéger du vent. Ce n’est pas là que je dormirai ce soir mais dans l’hôtel situé sur le port. Un petit port où une vingtaine de bateaux sont amarrés ce soir, bien protégés du vent violent et des vagues par une digue, comme je le serai moi-même par les murs de l’hôtel. Il y a des soirs où l’on est particulièrement content de ne pas être exposé à la force des éléments.

Clear Waters Rising (Nicholas Crane)

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Nicholas Crane est écossais et géographe. Il est même depuis 2015 le Président de la Royal Geographic Society. Dans ce livre publié en 1996, il raconte ses 17 mois de marche, de mai 1992 à octobre 1993 (il avait alors 38-39 ans), entre le Cap Finisterre et Istanbul. Une traversée de l’Europe de l’ordre de 10.000 km faite en suivant la ligne de partage des eaux, d’où le titre. Une sacrée expédition en solitaire faite par quelqu’un qui avait déjà beaucoup baroudé autour du monde. Il faut dire que ses parents l’avaient fait tomber tout petit dans la potion magique de la grande randonnée et du bivouac en toutes saisons et par tous les temps (et en Écosse !).

Essentiellement de la montagne donc dans cette longue marche trans-européenne : Sierras espagnoles, Pyrénées, Cévennes, Alpes, Carpathes, Balkans. C’est à la fois un exploit physique et une sacrée marque de volonté. Le livre est passionnant à lire, érudit, il m’a souvent obligé à consulter le dictionnaire pour connaître la signification précise de mots tirés d’un vocabulaire riche, imagé et très descriptif. C’est aussi un bon condensé de l’humour et de l’autodérision britanniques. Il renferme en outre quelques trucs bien utiles pour le randonneur – léger ou non – Nicholas Crane porte en effet sur le dos, surtout en hiver, un sac d’une bonne quinzaine de kilos, mais il voyage bien sûr avec un matériel et des tissus qui sont ceux de l’époque.

Cet excellent livre n’a jamais été traduit en français. C’est un pur scandale.

Clear Waters Rising (Nicholas Crane)
« Ma seule extravagance vestimentaire fut une seconde paire de chaussettes. À Londres, un voyageur expert avait souligné que l’on pouvait gagner du poids en ne transportant qu’ une seule chaussette de rechange. Ainsi équipé d’un total de trois chaussettes, le professionnel les fait circuler selon le principe de la rotation des cultures. Chaque matin, la chaussette de droite de la veille est déplacée au pied gauche ; la chaussette gauche de la veille est mise hors circuit pour lavage et raccommodage éventuel ; et la chaussette en jachère de la veille, maintenant propre et sèche, est mise au pied droit.

C’est un système ingénieux, mais j’en anticipais deux désavantages : d’abord, la rotation diurne risquait d’être source d’embrouilles, et ensuite, le système avait l’inconvénient plus sérieux que le pied gauche serait en permanence enfermé dans une chaussette de deux jours. Changer le sens de rotation ne serait pas une option, puisque cela aurait pour seule conséquence de soumettre le pied droit aux mêmes standards insuffisants de confort et d’hygiène. J’arbitrais donc en décidant que les calories supplémentaires que je brûlerais en devant transporter deux chaussettes basses de rechange au lieu d’une seraient plus que compensées par le plaisir tiré d’un départ quotidien avec les deux pieds empaquetés dans du coton propre » (The translation is mine)
Nicholas Crane — Clear Waters Rising. A Mountain Walk Across Europe (Viking 1996, Penguin Books 1997)

Sur les chemins noirs (Sylvain Tesson)

Sur le chemin
Sur le chemin

Ce que Sylvain Tesson appelle « les chemins noirs », ce sont bien sûr les chemins, les sentiers et les petites routes que tous les randonneurs empruntent au long de leurs escapades. Il baptise aussi, de ce même terme bien choisi, ses « chemins noirs intérieurs » qu’il suit, parallèlement à son avancée sur les cartes de France, sur la voie de la guérison physique et de l’acceptation de handicaps dont il ne sera probablement jamais délivré.

En août 2014, le stégophile Tesson a fait une chute de dix mètres et s’est fracassé les os. Fractures multiples dont celles de la colonne vertébrale et du crâne, une semaine de coma, trois mois d’hôpital, une paralysie faciale et une surdité droite séquellaires, et des douleurs partout. Un an plus tard, il est parti de Tende, dans le Mercantour, pour une traversée de la France à pied jusqu’à La Hague, dans le Cotentin. Deux mois et demi de marche qu’il raconte dans ce livre.

L’écrivain Sylvain Tesson progresse incontestablement au fil des livres successifs, même si je continue à trouver son style souvent artificiel et parfois pompeux. Ici, il a l’originalité de ne pas raconter son périple au présent, comme c’est le cas dans la plupart des récits de marche que l’on a l’habitude de lire, mais au passé, comme une histoire qui vaut la peine d’être racontée et gardée en bonne place pour la postérité. Il relate cette traversée de la France de façon morcelée, en mêlant au récit chronologique des étapes, avec leurs anecdotes, de nombreuses digressions et des réflexions souvent introspectives.

Beaucoup de citations, aussi. De Bernanos, par exemple : « Il n’y a plus beaucoup de liberté dans le monde, c’est entendu, mais il y a encore de l’espace », ou de Vialatte : « L’escargot ne recule jamais » (celle-là, je l’adore !). On comprend toutefois qu’il n’ait pas cité Camus et son « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Les erreurs toponymiques qu’on découvre en voulant suivre son trajet sur la carte sont en effet nombreuses ; il est un peu dommage qu’il n’ait pas pris le temps de vérifier les noms des villages traversés.

De mon point de vue donc, un livre pas désagréable à lire, du même niveau par exemple que les récits de marche écrits par Axel Kahn, mais dont la qualité littéraire ne m’a pas paru justifier pleinement le battage médiatique dont il a bénéficié.

À la ligne (Joseph Ponthus)
« Je pestai tout le jour [...] contre la versatilité du chemin. Construire de savants itinéraires sur la carte pour buter sur des impasses mourant dans les labours me faisait écumer. L’IGN maintenait sur les feuilles les anciens tracés cadastraux accaparés par les paysans. Les propriétaires ne se cachaient plus de prendre leurs aises avec l’administration et d’avaler les chemins dans les confins de leurs parcelles. Sur les pentes qui menaient au col de Prat de Bouc, je montrai la carte au fermier qui machinait sa clôture.
— Ce n’est pas un accès privé, dis-je, en lui désignant la trace que je cherchais.
— Vous ne trouverez pas ces chemins, ce sont de vieilles cartes.
— Non, c’est l’édition de cette année.
— Ce sont de vieux chemins alors. On les a modifiés »

Sylvain Tesson — Sur les chemins noirs (Gallimard, 2016)
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