Entre la Somme et l’Oise
- Publié le Samedi 22 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape 15 : St-Omer-en-Chaussée -> Ons-en-Bray (12/10/2010)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
J’ai quitté hier le département de la Somme pour celui de l’Oise mais c’est toujours la Picardie de l’intérieur que je traverse, avec ses champs, ses rivières et ses bois. La seule différence immédiatement visible a été le remplacement des 80 par des 60 sur les plaques minéralogiques, mais des modifications plus subtiles se font jour peu à peu.
Les chasseurs ne sont plus omniprésents. On n’entend plus guère qu’un coup de fusil lointain par-ci par-là. Les chemins forestiers ne sont plus barrés de manière imprévue par ces portes métalliques qui interdisaient temporairement l’accès à des endroits faisant pourtant partie du domaine public. On chasse aussi dans l’Oise bien sûr, mais les chasseurs ne font visiblement pas autant la loi ici qu’un peu plus au nord.
Dans les villages, les girouettes arborent parfois un canard ou une oie en vol à la place du coq traditionnel. Des affiches font la promotion du Parc du Marquenterre, refuge et observatoire des oiseaux, et des tracts « Non à la chasse aux oiseaux migrateurs ! » sont punaisés sur les poteaux électriques. Ça change !
Sur les portails des maisons, les panneaux « Chien méchant » ont cédé la place à des « Je monte la garde » à peine plus crédibles, car les chiens aussi ont changé. Ce ne sont plus des chiens-loups, des dogues ou des épagneuls qui aboient lorsque je passe à proximité du grillage qui circonscrit leur territoire. Ce sont des cockers, des teckels ou des caniches, chiens de compagnie qui tâchent de faire bonne contenance mais qui ont peu de chances d’impressionner quiconque.Le voyageur à pied sait bien qu’en vociférant ainsi à travers les barreaux de leur cage, ces descendants affadis de l’animal libre et nomade qui hantait jadis les forêts de la région expriment surtout leur frustration et leur envie. C’est le regret enfoui de leur liberté perdue qui s’exprime par leurs aboiements jaloux, lorsque passe le chemineau.
Impression soleil levant
- Publié le Lundi 17 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°14 : Poix-de-Picardie -> St-Omer-en-Chaussée
(lundi 11/10/2010)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Il ne fait pas chaud ce matin, deux ou trois degrés peut-être. La journée promet d’être belle, mais à huit heures du matin il fait encore nuit et vraiment frais, d’autant que souffle un petit vent du nord. Je suis parti avant l’aube de Poix-de-Picardie car l’étape d’aujourd’hui sera longue, plus de trente kilomètres jusqu’à Saint-Omer-en-Chaussée.
Peu après la sortie de la ville, de l’autre côté de la route devant moi et à droite, quatre personnes sont adossées à la clôture métallique qui entoure ce qui ressemble à un grand entrepôt. Une femme et trois hommes. Ils ne bougent pas, ils ne parlent pas, ils ne fument pas. Ils regardent tous les quatre dans la même direction, droit devant eux vers l’horizon par-dessus la chaussée, les arbres et les champs.
Me voici assez près pour qu’on se salue, d’un côté à l’autre de la petite route.
« – Bonjour ! »
« – Bonjour » répondent-ils sans chaleur excessive et sans détacher leur regard de l’horizon. Tous les quatre portent le blouson chaud que requiert la température matinale, mais la femme et l’un des hommes sont en short. Ils savent visiblement qu’ils auront chaud bientôt.
À l’horizon oriental sur lequel leurs yeux étaient fixés, le haut du disque solaire vient d’apparaître. Juste un peu trop tard. Libéré pour un temps des horaires et des routines, le marcheur de passage profite seul du spectacle.
Harmonie
- Publié le Vendredi 14 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°13 : Molliens-Dreuil -> Poix-de-Picardie (Di 10/10/2010)
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Mes jambes avalent les kilomètres aujourd’hui. Elles font leur travail toutes seules, en rythme et sans peine. Elles gravissent la petite côte sans que j’y prête vraiment attention, me font traverser le village de Saint-Aubin-Montenoy et redescendre de l’autre côté de la colline après un bref regard en arrière. Devant moi, la route descend un peu puis remonte en pente douce. Une rangée d’éoliennes se découpe sur le ciel bleu, au faîte d’une ondulation de terrain. Il fait beau, il fait clair, l’air est vif et transparent. Je réalise soudain que je me sens parfaitement bien.
C’est comme une révélation qui n’a rien de mystique : en cet instant précis, en cet endroit précis, seul sur cette petite route de campagne, je me sens pleinement heureux. Fugace sensation. Au bout d’une poignée de secondes, pas même une minute, dès que je m’en rends compte en fait, ce sentiment de pur bonheur, de pleine joie de vivre, s’estompe. Il se délite, il s’éloigne, laissant la place à une « simple » sensation de bien-être.
Le moment de plénitude est passé. Il est parti, mais il a été là, et des moments comme celui-là valent toutes les fatigues, tous les déluges, toutes les courbatures, toutes les ampoules du monde. Je ne sais pas pourquoi c’est arrivé à ce moment-là et en cet endroit. La petite voix rationnelle qui me quitte rarement est déjà revenue, elle chuchote « endorphines » et elle a peut-être raison, mais je n’ai pas envie de l’écouter et, de toute façon, peu importent le pourquoi et le comment. Ce qui compte c’est que cette sensation merveilleuse et fugitive de communion parfaite avec le monde m’ait rendu visite, que je sois capable de me la rappeler, et que je sache qu’elle reviendra, un de ces jours.
Envolées belles
- Publié le Mardi 11 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°13 : Molliens-Dreuil -> Poix-de-Picardie (Di 10/10/2010)
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Il fait beau, vraiment beau. Le ciel a été bleu dès mon départ, sans cette brume qui noyait le lointain les jours précédents et masquait le soleil jusqu’en début d’après-midi. C’est le vent qui l’a chassée, le vent qui explique aussi qu’il ne fasse pas très chaud malgré le soleil, le vent qui mouille mes yeux mais fait sécher le linge qui flotte derrière moi, accroché à mon sac à dos.
Que d’oiseaux aujourd’hui. Le long des champs labourés, un chemin rectiligne s’étire à perte de vue, bordé par une haie d’arbustes. Tous les cinquante ou cent mètres, c’est la panique sur mon passage. Grives, cailles, colombes, passereaux, s’enfuient dans de grands bruissements d’ailes qui se mêlent au froissement des feuilles bousculées et à leurs cris aigus, dans une joyeuse cacophonie qui m’accompagne tout au long du sentier. J’espère que là où ils vont, ils seront également à bonne distance des chasseurs dont les coups de fusil espacés forment aujourd’hui encore un rappel sonore bien trop proche à mon goût.
Un faisan s’envole lourdement d’un sillon, à dix mètres de moi à peine. C’est un superbe mâle au plumage irisé, « gorge-de-pigeon ». Hasard ou fait exprès, les oiseaux s’envolent presque toujours en direction du soleil, ce qui est parfait pour éblouir un poursuivant (et infernal pour qui veut les prendre en photo). Ce faisan ne fait pas exception à la règle et c’est tant mieux car il file ainsi dans la direction opposée aux coups de feu. Bien joué.Quelques instant plus plus tard, je rattrape deux chasseurs qui regagnent leur voiture, l’air dépité.
— « Alors, la chasse a été bonne ? »
— « Bah, non, rien. Le gibier se fait rare ! »
— « Oui, c’est vrai, il n’y pas l’air d’y avoir beaucoup d’animaux dans le coin » dis-je avec un grand sourire hypocrite en passant rapidement mon chemin.
Chiens de traîneau
- Publié le Samedi 8 janvier 2011
- par Serval
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Les chiens courent sans bruit. Depuis quatre jours ils courent, tirant derrière eux le lourd traîneau de bois pour une longue boucle à travers l’immensité blanche. L’air froid de Mauricie frappe mon visage à la vitesse de notre déplacement mais il n’y a pas de vent. Le crissement continu des patins sur la neige dure de la piste remplit seul le silence, que ponctuent aussi de temps à autre les ordres des mushers.
Mes deux chiens de tête ont l’habitude de travailler ensemble. Leur apparence mal assortie cache une parfaite complémentarité dans l’effort. La femelle groënland, Louvain, court en tendant sa ligne au maximum, sans répit pendant des heures et des heures, avec une endurance inimaginable pour un être humain. C’est elle la tête, et pas seulement par sa position dans l’attelage. Elle est attentive aux ordres et met toute sa fierté à y obéir et à les faire exécuter par les autres chiens.Flick, le grand mâle husky qui court à sa droite, tire avec force quand il le veut bien, mais sa ligne de trait est souvent moins tendue. C’est un malin. Ce bon chien placide et affectueux sait se ménager quand il le peut mais donne toute sa force dans les montées, et quelques passages de neige molle ne lui font pas peur.
Louvain tourne parfois la tête vers son voisin et montre les crocs quand celui-ci, plus lourd et plus massif, la bouscule dans sa course, mais sans jamais mordre et sans cesser de tirer. Au repos ce sont les meilleurs amis du monde.
« Parfois un chien gémissait ou hurlait en montrant les dents, mais la meute restait calme ; on entendait seulement le bruit des patins d’acier et le craquement du traineau sur la surface durcie [...] Aucune brise. Au coeur des sapins qui bordaient les deux rives du fleuve, la sève s’était arrêtée. Les arbres, aux branches alourdies par la neige, semblaient pétrifiés. Le plus léger souffle aurait fait tomber la neige, et cependant la neige restait immobile. Le traîneau était le seul point vivant et mouvant de cette immensité solennelle, et les battements réguliers des patins aggravaient encore le silence. Hommes et chiens couraient. » Jack London — Radieuse aurore. |
Derrière les deux leaders, Quest et Achille font honnêtement leur métier de chien de traîneau. La truffe au ras de la queue des collègues de devant, les deux alaskan ne voient rien d’autre, ils ne disent rien, ils courent. Ils peut leur arriver de tourner la tête vers l’extérieur et de ralentir un court instant quand une odeur particulièrement attractive frappe leur odorat, mais même une belle tache d’urine au bord de la trace ou des empreintes de lièvre ne les feront pas s’arrêter. Le devoir avant tout.
Les deux colosses de queue, Yukon le malamute et Philbert le grand husky, ont la tâche la plus ingrate. Ils tirent encore et toujours, forçats à la chaîne mais amoureux de celle-ci. Le matin, ils sont les premiers à geindre et à s’agiter pour que je leur enfile leur harnais. Debout sur le frein du traîneau, c’est à grand peine que je les retiens de s’élancer à peine attelés, bien que j’appuie des deux pieds et de tout mon poids sur cette lame d’acier dont les crocs s’enfoncent dans la neige. Une fois le frein relevé… accrochez-vous, on décolle !Au début de la journée, Yukon et Philbert jetaient fréquemment des coups d’oeil inquiets en arrière dans les descentes pour vérifier que le traîneau ne les rattrapait pas, au risque de leur blesser les pattes. Maintenant ils ont pris confiance : apparemment l’amateur qui est derrière eux a compris comment se servir du frein à bon escient.
Ce soir au refuge, ils dormiront dehors sur un peu de paille jetée sur la neige, après leur unique repas quotidien : une soupe chaude et un bloc de viande congelée. Chez ces fils du loup, la plus petite particule absorbée se transforme en énergie pure.