Diagonale SE-NO : Bretagne


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J 68 – Samedi 13 août 2022
Redon -> Saint-Martin-sur-Oust (km 1.540)

Guichen au-dessus de l’Île aux Pies.

La soirée chez Guichen et sa famille a effectivement été très agréable et enjouée. Nous avons bien discuté en dînant de galettes-saucisses arrosées de poiré puis de cidre mais, la fatigue de la longue journée aidant, nous nous sommes couchés d’autant plus tôt que ce n’était pas un au revoir : comme le week-end du quinze août débutait, Guichen m’a en effet proposé de m’accompagner sur mon étape d’aujourd’hui et de bivouaquer avec moi avant qu’il retourne chez lui à Redon dimanche. J’ai évidemment accepté sa proposition avec plaisir et c’est donc à deux que nous avons marché aujourd’hui.

Le point très positif quand on marche en compagnie d’un « régional de l’étape », c’est qu’il connaît les jolis sentiers, les panoramas, les points d’eau. La matinée, alors que nous étions encore près de son domicile, a donc été l’occasion d’une magnifique promenade sous les arbres et pour moi de faire quelques photos mais moins que d’habitude car, qui l’eût cru, on ne marche pas et on ne s’arrête pas de la manière lorsque l’on est deux que quand on marche tout seul.

L’après-midi a été plus rude car la chaleur a atteint 38°C à l’ombre, ombre où nous avons été nettement moins souvent que le matin alors que les points d’eau devenaient introuvables. Nous avons finalement pu demander à deux hommes, père et fils, qui travaillaient à rechauler la façade de leur maison de remplir totalement nos gourdes (trois litres pour moi, deux litres et demi pour mon camarade). Cela nous a tout juste suffi pour finir la journée et ce soir, au bivouac, il nous reste environ un quart de litre chacun. Il faudra faire avec.

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J 69 – Dimanche 14 août 2022
Saint-Martin-sur-Oust -> Le Roc-Saint-André (km 1.569)

Le long du Canal.

Guichen et moi étions tellement éreintés hier soir après cette journée caniculaire que nous nous sommes endormis sitôt après le dîner, si bien que le peu d’eau qu’il nous restait a tenu sans difficulté jusqu’à ce matin. Comme chaque nuit, je me suis réveillé à plusieurs reprises pour me rendormir aussitôt, dont une fois vers quatre heures et demie lorsque la pluie attendue a commencé à plic-ploquer sur ma toile de tente – ce qui m’a amené par précaution à en fermer la porte laissée ouverte hier soir – et une autre fois vers cinq heures et demie lorsqu’un quadrupède, non identifié puisque la porte fermée m’a empêché de le voir mais que j’ai imaginé être sans doute un renard, est passé juste à côté de mon abri en trottinant.

Nous nous sommes réveillés bien reposés à six heures et demie et avions rejoint une heure plus tard sous une pluie fine le village de Saint-Martin-sur-Oust au-dessus duquel se trouvait notre site de bivouac. Nous y avons trouvé comme espéré de quoi refaire le plein d’eau et nous ravitailler pour nos journées de marche respectives en sens opposés. Nous nous sommes en effet alors quittés en arrivant au chemin de halage du Canal de Nantes à Brest (ici la rivière Oust canalisée) lui pour partir vers le sud-est et son domicile redonnais et moi pour continuer ma promenade en direction du nord-ouest.

Pour la première fois depuis les trois mémorables étapes creusoises de la fin juin, la journée s’est entièrement déroulée sous une pluie continue, d’abord fine puis assez soutenue, sur un chemin de halage largement exposé aux intempéries. Malgré l’association tenue de pluie + parapluie, j’ai atteint le joli village de Malestroit complètement trempé. C’était l’heure du déjeuner mais un dimanche, veille du 15 août, je n’étais pas le seul « touriste » à avoir eu la même idée. Bien que mouillé et plutôt frigorifié, je n’ai eu d’autre choix que d’être servi en terrasse, évidemment parfaitement abrité par un grand parasol imperméable mais sans le réconfort de la douce chaleur de l’intérieur du restaurant. Telle est la dure vie du chemineau ! Heureusement, un réconfort moral m’a été grandement apporté par la conversation sympathique que j’ai eue avec mes deux voisines de table.

La pluie continuait mais en l’absence de solution pour dormir sous un toit à Malestroit j’ai continué mon chemin le long du Canal. Même sous la pluie, c’est très beau mais je confirme : la canicule c’est chaud mais la pluie ça mouille ! Je me suis finalement arrêté en fin d’après-midi au camping du Roc-Saint-André où une bonne douche chaude suivie par l’enfilage de mes vêtements de nuit bien secs ont remis à neuf le bonhomme.

Cette nouvelle longue étape m’a permis de me rapprocher de Josselin où j’ai réservé une chambre d’hôtel pour demain et que je devrais atteindre dès la fin de la matinée. J’aurai ainsi tout mon temps pour visiter la ville et recharger mes batteries.

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J 70 – Lundi 15 août 2022
Le Roc-Saint-André -> Josselin (km 1.586)

Les petites chattes aussi ont soif !

La partie du camping du Roc-Saint-André destinée à accueillir les petites tentes des randonneurs et des cyclistes était exactement située à l’endroit que j’aurais éliminé si j’avais pu choisir : le long d’un ruisseau et à côté d’une grande zone marécageuse couverte de hautes herbes trempées au-dessus de laquelle de la brume flottait déjà hier soir. Autant dire que j’ai été particulièrement content de dormir dans une tente double-toit car la condensation était considérable ce matin sur les deux faces de sa toile externe.

Je suis parti en sachant que l’étape d’aujourd’hui serait courte, ayant bien avancé hier et avant-hier depuis Redon et ayant réservé pour ce soir une chambre d’hôtel à Josselin, une ville que je connaissais pas et dont on m’avait beaucoup vanté la joliesse. Que cette halte au sec survienne après deux journées éprouvantes au plan climatique – de manière totalement opposées – tombait particulièrement bien. En fait, comme souvent lorsqu’on a prévu une « petite étape facile », je me suis traîné sur un chemin que je trouvais monotone bien que j’aie volontairement alterné entre des petites routes, le chemin de halage du Canal de l’Oust et le GR37 qui suivait ici le tracé d’une ancienne voie ferrée. Il faut dire qu’il a de nouveau fait très chaud. J’ai discuté avec plusieurs personnes de rencontre (un pêcheur, un vieux monsieur promenant son chien, une jeune cycliste qui avait crevé), je me suis arrêté une demi-heure dans un champ pour faire sécher ma toile de tente au soleil et dans le vent, mais ce que j’avais envisagé comme un « nero-day » de dix-sept kilomètres m’a paru bien long. Tout est dans la tête !

Cela dit, je suis quand même arrivé très tôt à Josselin, abordé en passant devant son magnifique château qui surplombe le canal et j’ai pris le temps de parcourir les rues de la ville médiévale avant de gagner l’hôtel. C’est effectivement une très jolie petite ville et son château est splendide mais la foule des touristes est tout aussi impressionnante et m’a assez vite fait fuir vers le calme de ma chambre.

Sur le chemin de l’hôtel, des miaulements répétés m’ont attiré. Un petit chat faisant des allers et retours sur la margelle d’un puits en miaulant à fendre l’âme. J’ai fini par comprendre qu’il avait très soif et qu’il ne pouvait atteindre ni l’eau du bassin en-dessous de lui ni le filet qui coulait de la buse. J’ai fait ma B.-A. de la journée en lui donnant à boire avant d’aller à mon tour me rafraîchir sous la douche. Toilette, grosse lessive, longue sieste, l’après-midi de cette journée de récupération est vite passé.

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J 71 – Mardi 16 août 2022
Josselin -> Saint-Samson (km 1.616)

Un peu de beauté en jaune et noir.

La pluie tombait si dru ce matin qu’en regardant par la fenêtre de ma chambre j’avais l’impression de voir le château de Josselin à travers de la gaze. J’étais prêt depuis sept heures et demie mais je n’avais absolument pas envie de mettre en pratique l’adage « pluie du matin n’arrête pas le pèlerin » – et de toute façon, je ne suis pas un pèlerin ! J’ai reposé mon sac à dos, j’ai retiré mes chaussures, je me suis rallongé sur le lit et j’ai attendu en lisant que la pluie se calme un peu, ce qu’elle a finalement eu la courtoisie de faire assez vite. Les trombes d’eau ont cédé la place à une pluie fine qui ne pouvait décemment pas servir plus longtemps de prétexte à ma paresse matinale, et à huit heures et quart j’étais en route.

Comme hier, mon chemin a beaucoup suivi le canal de Nantes à Brest avec quelques excursions dans la campagne lorsque le GR37 s’écartait de l’Oust. Cela aurait donc pu me paraître tout aussi monotone qu’hier et pourtant non. Tout est dans la tête, disais-je, et aujourd’hui ma tête était plus d’humeur à profiter des paysages de bords de cours d’eau, des saules et des chênes, des mûres et des herbes et des fleurs des fossés. D’écluse en écluse, certaines séparées parfois de la précédente de moins d’un kilomètre, j’ai progressé en ayant toujours un objectif intermédiaire proche en ligne de mire et le temps a passé vite. La pluie n’est pas revenue.

Vers midi, débarrassé de mes vêtements de pluie, je me suis installé pour déjeuner dans un bel espace de pique-nique et de bivouac aménagé pour les cyclistes à côté de l’écluse 46 (La Grenouillère). J’ai considéré que même sur ce chemin de halage où les cyclo-touristes sont rois, un long-marcheur pouvait bien en profiter aussi, non mais ! Plus tard, un peu avant Rohan, j’ai fait un détour pour passer devant l’Abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc. L’accueil et la boutique étaient fermés mais une petite porte étant restée entrouverte je me suis faufilé à l’intérieur d’une enceinte théoriquement interdite aux profanes et ai ainsi pu admirer l’architecture grandiose des bâtiments et faire quelques photos.

De retour sur le chemin de halage, j’ai failli marcher sur une splendide salamandre immobile au milieu de la chaussée. Une salamandre ! Je n’en avais plus vu depuis mon enfance. Elle était inerte mais vivante. Je l’ai ramassée pour la reposer dans l’herbe, à l’écart des roues des vélos. Pensant à la chatte d’hier qui avait si soif, j’ai versé de l’eau autour d’elle et un peu sur son dos. Coïncidence ou relation de cause à effet, quelques secondes plus tard elle s’est remise en mouvement, d’abord lentement puis de plus en plus vite pour aller plonger dans l’eau du canal. J’ai fini l’étape tout content.

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J 72 – Mercredi 17 août 2022
Saint-Samson -> Pontivy (km 1.636)

Le château de Pontivy.

La météo annonçait des averses à partir de midi et peut-être des orages en soirée, alors que mon trajet théorique prévoyait que je bivouaque ce soir quelque part avant le lac de Guerlédan. C’était une raison parfaitement valable pour que je fasse aujourd’hui un détour impromptu par la ville de Pontivy où je n’étais jamais allé. Une vingtaine de kilomètres seulement, au mieux pour arriver avant la pluie et avec une forte probabilité d’y trouver un toit pour la nuit.

Aussitôt pensé, aussitôt fait, j’ai quitté le canal de l’Oust peu de temps après être parti de Saint-Samson et me suis dirigé plein ouest entre les champs, sur des chemins d’exploitation, des pistes de terre et quelques petites routes goudronnées. Ce fut une très agréable étape, même si la pluie a été plus précoce que prévu sous la forme de deux beaux grains – mais j’ai pu me mettre à l’abri dans les deux cas. Il y a également eu plusieurs belles éclaircies. Il est bien connu qu’en Bretagne il fait habituellement beau plusieurs fois par jour !

Étape agréable donc, et courte d’une vingtaine de kilomètres seulement, entre des champs où un simple fil de fer non électrifié suffisait visiblement à empêcher les vaches de baguenauder (il faudrait expliquer ça aux maniaques creusois des barbelés), avec de nombreux bâtiments agricoles, fermes, hangars, silos, etc.

Je suis arrivé un peu avant dix heures à Noyal-Pontivy sous un ciel gris et ai admiré la très belle église du village avant qu’un premier grain ne confirme mon idée d’y prendre un petit déjeuner tardif. Un chocolat chaud et un croissant plus tard, le ciel était redevenu parfaitement bleu et j’ai repris ma route vers Pontivy. La seconde averse a eu la bonne idée de survenir alors que je marchais dans une sente passant sous des frondaisons, ce qui m’a donné le temps d’enfiler mes vêtements de pluie sans être trempé. J’ai atteint Pontivy en début d’après-midi sous le crachin, y ai déjeuné et ai admiré le château des ducs de Rohan (encore un !). Il est colossal mais je préfère la ligne élégante du château de Josselin que sa situation au bord de l’Oust rend de surcroît plus spectaculaire.

Alors qu’une nouvelle averse menaçait, j’ai terminé mon errance pontivyenne dans un hôtel situé tout près du château. J’y ai été abrité des intempéries de l’après-midi et d’un court orage en début de soirée. Tout cela, décidément, a été remarquablement organisé ! Il paraît que demain la pluie ne sera pas au rendez-vous. Tant mieux car je dormirai certainement sous la tente.

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J 73 – Jeudi 18 août 2022
Pontivy -> Saint-Aignan (km 1.661)

Au-dessus du Lac de Guerlédan.

Ayant ajouté hier à mon trajet théorique un passage impromptu par la ville de Pontivy, j’avais pensé sans regarder la carte en détail que pour rejoindre le lac de Guerlédan, une quinzaine de kilomètres plus au nord, je suivrais à nouveau le chemin de halage du Canal de Nantes à Brest. Mais en fait, entre Pontivy et Guerlédan, le canal fait plusieurs grands méandres qui augmentent considérablement la distance à parcourir pour arriver au lac. Après l’avoir suivi sur quelques kilomètres j’ai donc choisi de prendre la tangente – au sens propre – et de marcher sur une route qui allait tout droit vers le nord, un peu à distance du canal. C’était du bitume, certes, avec des champs pour paysage au lieu de la joliesse du canal mais c’était une petite route avec peu de circulation qui n’était finalement pas si désagréable. Ce qui l’était par endroits, en revanche, c’était l’odeur de lisier, de plus en plus fréquente depuis quelques jours quand on marche près des champs.

La matinée n’a donc pas été palpitante mais au moins le temps était-il parfait pour la marche : nuages et éclaircies avec une température qui devait être de l’ordre de 25°C lorsqu’à midi je suis arrivé à Saint-Aignan où un restaurant n’attendait que moi. Une « formule du jour » plus tard, je repartais pour une seconde partie de journée totalement différente de la première, longeant la rive sud du lac de Guerlédan. Il s’agit d’un lac artificiel créé par un barrage sur le Blavet, la rivière canalisée qui a succédé à l’Oust pour former le canal de Nantes à Brest. Rivières, canal, lac… oui, oui, tout cela est bien le même cours d’eau transformé par la main de l’homme.

Au lieu du bitume horizontal du matin, je me suis alors retrouvé à marcher sur des sentiers forestiers qui longeaient le lac à faible distance, soit à son niveau, soit à quelques dizaines de mètres en hauteur. Des montées, des descentes… bref des sentiers casse-pattes qui m’ont amené, pour la première fois depuis plusieurs semaines, à marcher de nouveau avec deux bâtons et qui m’ont quand même fait cumuler plus de cinq cents mètres de dénivelé sur les six derniers kilomètres de l’étape. Après toutes les étapes de plat de ces dernières semaines, je ne m’y attendais pas et je l’ai bien senti dans les cuisses !

Vers dix-sept heures je me suis aperçu que je n’étais plus sur le GR. Sans doute avais-je manqué un embranchement par inattention (mais il faut reconnaître que le balisage de ce GR341 sud aurait bien besoin d’être amélioré) ce qui m’avait fait m’éloigner du lac en m’enfonçant un peu dans la forêt de Quénécan. Qu’à cela ne tienne ! Comme j’avais suffisamment d’eau pour tenir jusqu’à demain, je me suis mis en mode « recherche de bivouac » et ai rapidement trouvé un bon site, isolé et tranquille dans la forêt, pour y planter mon abri. Je sens que ce soir je n’aurai pas de mal à m’endormir.

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J 74 – Vendredi 19 août 2022
Saint-Aignan -> Rostrenen (km 1.687)

Dans la lande de Liscuis.

La partie de la Forêt de Quénécan où j’ai passé la nuit, près du lac de Guerlédan, s’appelle apparemment « la quenouille à Madame ». Je ne sais pas qui était cette Madame (serait-ce une allusion aux araignées que j’ai vues sur ma toile extérieure ce matin ? Il y en avait au moins six ou sept) mais je la remercie car j’y ai filé de jolis rêves et y ai très bien dormi pendant presque neuf heures. C’est dire que j’étais bien reposé lorsqu’à huit heures passées je me suis remis en route. Après la relative déception de la forêt du Gâvre il y a déjà plus d’une semaine, j’ai été ravi de ces quelques kilomètres à travers celle de Quénécan que j’ai trouvée magnifique, épaisse et calme et visiblement bien gérée. Ayant choisi de suivre hier la rive sud du lac de Guerlédan plutôt que de traverser entièrement cette forêt depuis Pontivy, je n’en aurai vu qu’une partie mais j’ai compris en y marchant l’enthousiasme qu’Axel Kahn exprimait à son propos dans son livre « Entre deux mers ».

Après avoir rejoint et longé pendant quelques centaines de mètres le Blavet, devenu à son tour Canal de Nantes à Brest, le long duquel des pêcheurs profitaient du beau ciel gris et de l’annonce de pluie pour taquiner la perche et le gardon, je me suis engagé dans les Gorges du Daoulas. Au fond des gorges c’était un peu triste, la rivière fluette était à peine discernable à travers les fourrés qui la bordent mais après avoir gravi la pente menant à la crête, autour de 200 mètres d’altitude, quel spectacle ! Je ne pouvais plus m’arrêter de photographier ces paysages somptueux. Sous le ciel menaçant, cette lande de Liscuis qui surplombe tous les alentours, avec ses ajoncs et ses bruyères, ses blocs de granit et ses plaques d’ardoise, résumait l’âme celte de la « Bretagne éternelle » de l’intérieur, complémentaire de la Bretagne maritime. Pas seulement son âme celte d’ailleurs, mais une (pré-)histoire plus ancienne encore avec plusieurs « allées couvertes », des sépultures collectives datant du néolithique (5000 à 2000 avant J.-C.).

Je suis redescendu de ces landes — et simultanément de mon état second — en étant rappelé à la réalité par mon estomac me signalant avec insistance que je n’avais rien mangé depuis mes chips-sardines d’hier soir. À Gouarec, le restaurant a eu la bonne idée de se trouver sur mon chemin au moment où la pluie qui menaçait depuis le matin s’est mise à tomber. J’ai pris mon temps pour déjeuner mais cela n’a pas suffi, les douze kilomètres qui me séparaient de Rostrenen ont été bien arrosés.

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J 75 – Samedi 20 août 2022
Rostrenen -> Poullaen (km 1.716)

La Vallée des Saints.

Allongé sur le matelas trop mou de la chambre sommaire (un lit, une douche, pas de placard ou d’armoire, pas de table) de l’hôtel isolé trouvé hier sous la pluie en dehors de Rostrenen, je n’arrivais pas à m’endormir. J’avais dîné, assis par terre, du melon et des tranches de jambon cru achetés en passant dans la ville, j’avais écrit mon billet quotidien, répondu à quelques messages et passé deux coups de fil mais, rien à faire, Morphée me boudait. Finalement, pour la première fois depuis bien des semaines j’ai allumé la télévision (ni table, ni placard dans la chambre mais la télé c’est sacré !) et ça a marché presque immédiatement : je me suis réveillé vers deux heures du matin pour l’éteindre.

Du coup il était déjà sept heures quand je me suis réveillé mais mon sac étant quasiment prêt, j’étais dehors une demi-heure plus tard. Il faisait un temps splendide, le ciel était déjà tout bleu au-dessus de traînées horizontales de brume résiduelle. Il ne faisait pas chaud en revanche, j’avais perdu l’habitude d’avoir froid aux mains le matin !

Pas de question à se poser aujourd’hui sur la direction à prendre, pour rejoindre Carnoët et la Vallée des Saints c’était cap nord-nord-ouest, justement la direction de la voie verte « Véloroute V6 Trans-Armorique Camaret-Vitré ». Je l’ai suivie sur une douzaine de kilomètres jusqu’après Maël-Carhaix où je me suis arrêté une demi-heure dans un café pour un chocolat-croissant, sous un soleil de plus en plus chaud. Lorsqu’elle a obliqué vers Carhaix, je l’ai quittée pour continuer sur des petites routes. Cela a donc été une journée particulièrement sans relief, pendant laquelle j’ai tranquillement « avalé du kilomètre » en étant le plus souvent perdu dans mes rêves, comme c’est souvent le cas quand on marche longtemps sur un terrain facile.

La seule particularité de la journée, mais de taille, a été mon passage par la « Vallée des Saints » qui, comme son nom ne l’indique pas, est une colline sur laquelle se dressent de très nombreuses statues monumentales de quatre mètres de haut représentant les saints fondateurs de la Bretagne. L’objectif de ce projet pharaonique est de créer une « Île de Pâques » bretonne regroupant à terme mille statues. J’ai passé un long moment à me promener au hasard entre ces grandes statues mais le guide explicatif pesait bien trop lourd pour qu’un randonneur léger l’achète et je n’ai donc pas pu identifier la plupart des Saints représentés. En somme, « il faudra que je revienne » (refrain connu).

À une centaine de mètres de là, en contrebas, se trouvait la chapelle Saint-Gildas à coté de laquelle j’avais imaginé planter ma tente une fois les visiteurs partis, mais en ce samedi ils étaient encore nombreux à sept heures du soir. De guerre lasse, j’ai fini par décider d’aller installer mon abri à un kilomètre de là dans la forêt de Fréau.

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J 76 – Dimanche 21 août 2022
Poullaen -> Huelgoat (km 1.737)

Mes copines de Restmilzou.

J’ai passé toute la fin de la journée d’hier sur le site de la Vallée des Saints où j’ai dîné, sur l’une des nombreuses tables de l’aire de tourisme, d’excellentes rillettes locales et d’un soda acheté dans la boutique. J’avais lu sur leur site que celle-ci fermait à dix-huit heures et espérais que les visiteurs commenceraient alors à regagner leurs pénates mais, l’heure dite passée depuis longtemps, la boutique restait désespérément ouverte et pleine de visiteurs. Renseignements pris, la fermeture n’aurait en fait lieu qu’à 19h30, bien tard pour moi qui comptais monter ma tente près de la Chapelle Saint-Gildas une fois tout le monde parti. J’ai donc quitté les lieux et suis allé bivouaquer dans le bois de Fréau tout proche.

Tout proche, oui mais sur le territoire de la commune de Poullaouen et non plus celle de Carnoët, c’est-à-dire dans le Finistère et non plus dans les Côtes d’Armor ! Sans le savoir sur le moment, j’avais ainsi pénétré dans le dernier des vingt départements par lesquels je suis passé au cours de ma longue promenade. Voyez plutôt : Alpes maritimes / Alpes de Haute-Provence / Var / Vaucluse / Drôme / Gard / Ardèche / Haute-Loire / Puy-de-Dôme / Creuse / Indre / Haute-Vienne / Indre-et-Loire / Vienne / Maine-et-Loire / Loire-Atlantique / Ille-et-Vilaine / Morbihan / Côtes d’Armor / Finistère ! Ça sent la fin du voyage, à laquelle j’ai de plus en plus de mal à ne pas penser. Selon toute probabilité je devrais arriver à Porspoder samedi prochain.

Mais revenons au présent. J’avais donc trouvé hier soir à la va-vite un coin de forêt à peu près plat et dégagé pour monter mon abri. Je m’y suis endormi sitôt installé, d’autant plus aisément qu’il n’y avait pas de réseau cellulaire pour me distraire. J’ai bien dormi et me suis réveillé vers sept heures tiraillé par une envie pressante en fait bienvenue car je n’étais pas sitôt retourné sous la toile pour remballer mes affaires que la pluie a commencé à tomber. Un crachin tenace qui m’a ensuite accompagné jusqu’au milieu de l’après-midi le long d’une marche, très humide donc, mais qui a traversé de beaux endroits. J’ai traversé la forêt de Fréau dans toute sa longueur sur des chemins parfois oubliés où il fallait se frayer un chemin à travers hautes herbes et fougères — j’ai vérifié attentivement ce soir ne pas y avoir récolté de tiques.

Une fois cette forêt quittée, quelques kilomètres sur des petites routes entre les champs m’ont permis d’attirer l’attention d’un troupeau de vaches qui, à défaut de train, sont venues voir passer l’humain. J’ai déjà raconté ici que j’aime bien les vaches, elles ont de si beaux yeux avec de grands cils ! J’en ai photographié quelques-unes et suis reparti sur cette petite route près du hameau de Restmilzou alors que la pluie redoublait. Un automobiliste s’est alors arrêté près de moi, fenêtre ouverte, et m’a demandé « Ça va bien ? » « Oui, pas de problème, merci, je suis bien équipé » ai-je répondu avec le sourire en pensant qu’il s’inquiétait pour moi mais le monsieur dans la voiture n’était pas souriant du tout. « Non mais, ça va bien la tête de photographier les vaches ? Ce sont mes vaches et je vous défends de les photographier ! » J’en suis resté comme deux ronds de flan. Un peu plus tard, un paysan à qui je racontais l’histoire m’a dit que ce monsieur devait craindre les contrôles de je ne sais quel organisme.

Je marchais depuis près de cinq heures sous la pluie sans avoir trouvé un abri pour me reposer un peu en mangeant un morceau et je comptais profiter de la présence sur mon trajet de la « Galerie des charioteurs », une ancienne mine réaménagée en aire de pique-nique. Un bon kilomètre avant d’y arriver, de la musique de type boum-boum m’a fait comprendre que cela risquait fort de ne pas être possible. En effet, une « fête » avait commencé là hier soir et se poursuivait encore. Il y avait là des dizaines de voitures et peut-être deux cents jeunes gens, certains passablement alcoolisés, ce qui m’a fait renoncer à mes velléités de pause déjeuner. Grignoter en marchant, c’est très bien après tout !

Juste après cet intermède musical, je suis arrivé à la portion la plus jolie de cette étape – et d’autant plus agréable que la pluie avait cessé – sur les derniers kilomètres avant Huelgoat, le long de la rivière d’Argent (il y a là des sites aux noms évocateurs tels que « La Mare aux Fées » et « Le Gouffre ») puis sur la promenade du Canal. J’y ai marché pendant quelques centaines de mètres en compagnie de Laurence et de Benoît, deux promeneurs qui avaient passé la nuit au camping voisin et que l’idée de randonner en autonomie commençait à titiller. Ils connaissent déjà désormais l’adresse de cette page.

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J 77 – Lundi 22 août 2022
Huelgoat -> Botmeur (km 1.756)

Au gîte communal de Botmeur.

Lorsque j’ai commencé à concevoir le tracé de cette traversée en diagonale de la France, j’ai placé sur la carte certains points par lesquels je souhaitais absolument passer parce que n’y étais encore jamais allé : les Gorges du Verdon, l’Abbaye de Sénanque, les Gorges de l’Ardèche et la Grotte Chauvet, Le Puy-en-Velay, etc. et, tout à la fin de mon périple, dans les Monts d’Arrée, le Mont Saint-Michel de Brasparts et la chapelle qui se trouve à son sommet. Comme tout le monde, j’ai suivi avec tristesse l’évolution des nombreux incendies de cet été, en particulier ceux qui ont détruit en juillet des centaines d’hectares de forêts et de tourbières en Bretagne. Le plus étendu de ces incendies se situait exactement là où j’aurais dû marcher aujourd’hui et demain, autour de la commune de Saint-Rivoal et du Mont Saint-Michel de Basparts.

Je me doutais bien que des restrictions d’accès devaient encore exister mais je gardais l’espoir qu’il soit possible de parcourir certains des chemins de randonnée qui passent dans la réserve naturelle du Venec ou dans d’autres marais et tourbières du Yeun-Elez. Lorsqu’hier soir au dîner j’ai demandé ce qu’elle en pensait à la patronne de l’hôtel-restaurant de Huelgoat où j’allais passer la nuit, elle a eu une moue dubitative. « Je ne sais pas si c’est de nouveau autorisé mais en tout cas vous ne pourrez pas passer par les marais car plein de passerelles ont brûlé ». Elle m’a conseillé de me renseigner à l’Office du Tourisme des Monts d’Arrée, juste au coin de sa rue.

C’était un avis judicieux que j’ai suivi ce matin, ce qui m’a obligé à faire l’immense sacrifice de rester au lit jusqu’à huit heures du matin puisque l’office du tourisme n’ouvrait ses portes qu’à neuf heures et demie. La personne qui m’a reçue, très aimable et impliquée, m’a donné des informations encore plus négatives : jusqu’au trente août – pour le moment – il est absolument interdit d’emprunter les chemins inclus dans une très large zone qui recouvre les territoires d’une quinzaine de communes ! Il fallait donc, ou bien que je contourne cette zone (un détour de plusieurs dizaines de kilomètres) ou bien que je marche uniquement sur certaines routes goudronnées en restant à distance des zones incendiées. J’ai évidemment choisi la seconde option et ai dû marcher intégralement sur le bitume de petites routes heureusement peu fréquentées… et sous un crachin quasiment ininterrompu. En gros, on peut dire que je n’ai rien vu de toute la journée, et par ailleurs je n’ai rencontré personne (il faut dire, qui pourrait avoir l’idée saugrenue de se promener sur des routes sans intérêt par un temps pareil ?)

Comme tout ne peut pas être gris dans la vie d’un long-marcheur dépité, je suis passé en milieu d’après-midi devant la mairie de Botmeur, village où j’avais noté l’existence d’un gîte communal. La mairie était ouverte, la secrétaire de mairie charmante, et le gîte disponible. En fait, je vais même être le seul occupant de ce très confortable gîte de douze places. C’était beaucoup mieux que devoir chercher au bord de la route un endroit pas trop détrempé pour bivouaquer.

Demain devrait être une journée assez superposable à celle d’aujourd’hui car j’ai encore du chemin à faire pour quitter le voisinage des « espaces exposés au risque d’incendie ». S’il pouvait y avoir un peu de soleil pour compenser, ce serait bien.

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J 78 – Mardi 23 août 2022
Botmeur -> Sizun (km 1.774)

L’allée couverte de Mougau Bihan.

J’ai quitté le très agréable gîte communal de Botmeur sous la bruine et dans la purée de pois. Débutant la journée en marchant sur le bitume de la route qui traverse le village, je maugréais en moi-même : « Non seulement je n’aurai pas pu monter sur le Mont Saint-Michel de Braspart et sur le Tuchenn Kador mais je n’aurai même pas réussi à les apercevoir ». Mais comme il faut toujours voir le positif en toutes choses je me suis ensuite dit en riant jaune en dedans : « C’est parfait, cela va m’obliger à revenir ! » (on se console comme on peut des occasions manquées). Il faut dire que je craignais que l’étape à venir ne soit aussi insipide que celle d’hier car je devais, aujourd’hui encore, contourner les zones incendiées en empruntant seulement des routes. En fait, cela n’a pas été le cas. Bien que très raccourcie et essentiellement sur le bitume, l’étape n’a pas du tout été ennuyeuse, au contraire.

Sur la ligne de front
Sur la « ligne de front » des incendies.
J’avais redessiné hier soir mon trajet pour qu’il passe au plus près des landes et des tourbières sans pénétrer dans la zone interdite, et ce fut vraiment le cas. Sur quelques centaines de mètres j’ai même emprunté la « ligne de front » de l’incendie avec à ma gauche la lande calcinée et à droite la lande miraculée, indemne et fleurie. C’était une vision très spectaculaire. Dire que près de deux mille hectares de ces tourbières ont brûlé… Je me suis ensuite progressivement éloigné des zones incendiées en rejoignant au nord une grande route que j’ai suivie jusqu’à Commana. À partir de là, j’ai pu à nouveau marcher en direction de l’ouest.

Au lieu-dit Mougau-Bihan se trouvait une splendide allée couverte, plus grande que les trois allées que j’avais admirées il y a quelques jours dans la Lande de Liscuis au-dessus des gorges du Daoulas, et surtout remarquablement conservée. Comment dont faisaient nos ancêtres du néolithique pour soulever des pierres d’un tel poids ?

Le brouillard se levait doucement et la bruine légère qui l’avait accompagné avait cessé lorsque vers onze heures je suis arrivé au Lac du Drennec où j’ai déjeuné sur une table de pique-nique. Deux pêcheurs regagnaient leur voiture, leur canne à la main. Ils m’ont appris que ce lac regorgeait de truites fario et arc-en-ciel et ils ont paru quasiment offensés que j’aie cru qu’ils pêchaient la carpe, la perche ou le brochet. « Ah non, Monsieur ! Nous, on pêche à la mouche ! » Moi qui croyais qu’on ne trouvait des truites que dans les rivières vives et les torrents, j’aurai appris quelque chose. Je n’ai pas voulu aggraver mon cas en parlant d’ensemencement.

Je suis arrivé à Sizun en début d’après-midi alors que le soleil commençait à pointer le bout de son nez. L’église Saint-Suliau, très belle mais hélas fermée – comme c’est de plus en plus souvent le cas par crainte des vols – est située dans un enclos paroissial qui comprend également une sacristie et une chapelle funéraire, avec à son entrée une splendide « porte triomphale ». J’y ai passé un bon moment à admirer les sculptures et les bâtiments avant de rejoindre mon logis de ce soir. Finalement, cette journée aura été courte mais bonne.

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J 79 – Mercredi 24 août 2022
Sizun -> Landerneau(km 1.795)

Landerneau.

Tic-tac, tic-tac, tic-tac… J’ai beau m’efforcer de ne pas y penser, depuis plusieurs jours le compte à rebours s’est enclenché. Je vois désormais chaque journée qui passe comme une journée de moins avant la fin de ma longue promenade. C’est un sentiment ambigu que je ressens, qui mêle la joie de retrouver mon chez-moi, ma famille et mes chats, le soulagement de laisser mon organisme se remettre de ce que je lui ai fait subir, et la nostalgie que je ressens déjà de la liberté vécue au cours de cette longue parenthèse.

Le terme de « liberté », s’il n’est pas faux, est d’ailleurs incomplet. Bien sûr, quand on part ainsi pendant de nombreuses semaines, on met de côté beaucoup des obligations de la vie quotidienne « normale », soit qu’on laisse à autrui la responsabilité de leur prise en charge, soit qu’on remette leur règlement à plus tard. Mais partir sur les chemins, c’est bien plus que s’affranchir des contraintes du quotidien. En ce qui me concerne en tout cas, c’est surtout devenir apte à commencer chaque journée avec un cœur et un esprit ouverts au monde et aux événements, en se demandant, consciemment ou non (et pas par crainte, mais avec appétit) : que va-t-il se passer aujourd’hui ? que vais-je voir, qui vais-je rencontrer, quelle nouvelle « aventure » (pour employer un grand mot) va-t-il m’arriver ? Et à vivre la journée avec un esprit léger, uniquement préoccupé par les besoins essentiels – boire, manger, dormir, communiquer – un esprit qui laisse venir à lui les impressions, les sensations, les idées.

Comment ne pas perdre cette appétence pour chaque journée, pour la vie, une fois que l’on a regagné son ordinaire, comment réussir à ne pas redevenir plan-plan, canalisé par les contraintes quotidiennes et par les habitudes ? Je n’ai pas de réponse et mon expérience des longues marches précédentes m’a appris que petit à petit (et hélas assez vite en fait) je vais perdre cette capacité qui m’est actuellement naturelle de voir comme un enfant chaque jour qui commence comme le premier.

Mais je ne suis pas encore arrivé à Porspoder ! Encore deux ou trois jours, Monsieur le bourreau ! Et ensuite… je préparerai la longue marche suivante ! Aujourd’hui j’ai rallié Landerneau. Après ces quelques jours de marche obligée sur le bitume pour contouner les landes incendiées, j’ai retrouvé la terre, l’herbe et les pierres des chemins. Je me suis un peu égaré, je me suis accroché aux ronces et je me suis fait piquer par les orties… quel bonheur ! Il a plu un peu ce matin, il a fait beau et même chaud cet après-midi, j’ai fait quelques photos… Ce fut une bonne journée.

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J 80 – Jeudi 25 août 2022
Landerneau -> Guilers (km 1.824)

Sur le chemin de halage de l’Élorn.

J’ai quitté Landerneau en suivant le chemin de halage de l’Élorn, le petit fleuve côtier qui traverse la ville et dont la ria mène à la rade de Brest. Hier en fin d’après-midi, quand je suis arrivé, la marée était au plus haut et l’eau atteignait presque le tablier du pont de Caërnarfon. À sept heures ce matin l’eau dans le cours d’eau canalisé était bien plus basse, dégageant sur les rives une bande de vase. Goélands et freux se disputaient en piaillant le contenu échappé des poubelles, comme une illustration du passage de l’Argoat à l’Armor, de la Bretagne du centre à la Bretagne maritime.

J’aurai pu choisir d’atteindre la mer aujourd’hui en longeant la ria mais j’ai préféré attendre symboliquement pour cela le dernier jour de mon périple, afin de mettre un terme en atteignant la mer à la promenade démarrée en mai depuis le rivage d’une autre mer. Je me suis donc rapidement éloigné du bord de l’eau et ai pénétré de nouveau dans les terres pour contouner par le nord l’agglomération de Brest.

Il y avait eu des orages hier soir, il avait plu dans la nuit et le ciel tôt ce matin était encore chargé de nuages. Qui plus est, en cet ouest extrême, le soleil se lève plus tard qu’ailleurs dans l’Hexagone. Il faisait donc encore bien sombre dans la forêt de Landerneau mouillée lorsque je l’ai traversée. Ce fut une belle surprise lorsque j’en suis sorti de voir le soleil briller, et toute la journée il a fait beau. Après les sentiers forestiers, j’ai marché un peu entre des champs mais rapidement, au sein de la vaste agglomération brestoise, j’ai surtout marché dans des zones pavillonnaires puis sur les trottoirs du nord de la ville. Ce n’était pas désagréable. Il faisait beau mais pas trop chaud, la circulation était modérée et les espaces verts nombreux. J’ai fini la journée en remontant un peu le cours de la Penfield, l’un des autres fleuves qui se jettent dans la rade, pour arriver à Guilers où je vais passer la nuit qui vient. Tic-tac, tic-tac, tic-tac…

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J 81 – Vendredi 26 août 2022
Guilers -> Porspoder (km 1.855)

Clap de fin, tout au bout de la presqu’île Saint-Laurent.

Avant même d’avoir aperçu la mer, j’ai senti son odeur. Sel et iode, embruns et goémon. Encore quelques kilomètres, et voilà, j’étais arrivé. Porspoder. La presqu’île Saint-Laurent. Les fours à goémon, les cromlechs. Au large, le phare du Four. La dernière photo, demandée à un couple de promeneurs. Clap de fin, ma promenade est terminée.

« Les meilleures choses ont une fin » dit-on. J’avais toujours compris ce dicton avec un sens nostalgique : « c’était bien, mais c’est fini ». J’ai réalisé en me la disant ce soir qu’on peut lui donner un autre sens : « les meilleures choses sont celles qui ont une fin ». J’ai marché cette année pendant plus de quatre-vingt jours et j’aurais volontiers continué mais je suis aussi content de retourner à la « vie normale » alors que ma soif de marche n’est pas assouvie. Si Noël avait lieu tous les jours, serait-ce encore Noël ?

Je vais avoir du temps pour repenser à toutes ces journées, à mes différentes étapes, aux bons et aux quelques moins bons souvenirs, et pour reproduire les billets publiés sur Facebook depuis mon départ sur mon site personnel Lignes de Fuite, comme je le fais chaque année pour plus de pérennité et de facilité de (re)lecture. Et puis, petit à petit, au fur et à mesure que grandira en moi l’envie de repartir, je commencerai à imaginer et à préparer ma « longue promenade » suivante.

Merci à vous tous qui m’avez accompagné, certain(e)s depuis quelques jours, d’autres depuis plusieurs années, pendant cette longue marche et les précédentes. Votre présence, vos « like », vos commentaires, m’ont encouragé et soutenu plus que je ne saurai dire. Merci et à bientôt.

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